La Vierge du
Chancelier Rolin a construit une réputation culte au début des années 90 avec leur new wave expérimentale plein d’influences folk. Ils se retrouvent le 22 et
le 30 avril pour deux concerts exclusifs à Namur et Bruxelles. Nous pensions que ce serait une bonne
idée de leur poser quelques questions, mais nous avons vite déchantés.
La vierge du chancelier Rolin c’est formé en 1990,
à l'Institut Saint-Louis de Namur, si je suis bien informé. Comment vous êtes-vous rencontré ?
Laurent : Moi je sais pas, j’ai rejoint le groupe en 1992…
Thomas : Si mes souvenirs d'enfants sont bons, ils se sont rencontrés en parlant,
et ils étaient tous habillés en noir dans une école Chevignon.
Sarah : Au départ, c’est Thibaud, Jean-Phi (qui était le petit copain de Odile,
la sœur de Thibaud, qui, elle était dans la même année que Sarah à Saint-Louis)
et Pierre qui voulaient faire un groupe ensemble. Ils connaissaient, via via,
Vincent, un chanteur avec une voix très grave et très gothique et lui ont
demandé de les rejoindre. Et puis, via Odile, ils ont rencontré Sarah qui avait
un synthé. Dans un groupe de new wave, il faut bien deux synthés. Quand il a
fallu faire des concerts, ils avaient besoin d’un batteur. Nicolas qui était
dans la même année que Sarah voulait absolument rejoindre le groupe. Alors il
s’est mis à la batterie.
Vous utilisiez des instruments pas tout à fait
commode dans la new wave, avec beaucoup de sons acoustiques: guitares
classiques, violons, clavecin, orgue, percussions. Pourquoi
le choix de ces instruments ?
Pierre : Pour faire chier les corbeaux.
Laurent : Moi je sais pas, ils me laissaient rien toucher à part mon micro.
Thomas : Ma sœur avait pas les sous pour un MS-10.
Sinon elle aurait fait comme toutes les chanteuses de l'époque. Sarah, elle
avait abandonné le violon pour le synthé car le violon c’était ringard. Puis
comme le groupe était ringard, elle a ressorti son violon.
Sarah : On ne voulait pas faire comme tout le monde,
même si ce n’était pas vraiment conscient. Mais c’est ça qui a collé entre
nous. Ne pas se laisser enfermer dans un cadre, on aimait surtout tester,
créer. Même si on ne savait pas bien jouer. La première répète, on a chacun
pris notre instrument et on s’est lancé à faire des notes en écoutant les notes
des autres. Et étrangement, la mayonnaise a pris. On ne se prenait vraiment pas
au sérieux, même si on pouvait paraître très sérieux. Thibaud jouait de la
guitare classique aussi parce qu’il vivait dans un appartement dans un grand
immeuble et que c’est le seul instrument qu’il pouvait jouer tard le soir sans
déranger les voisins. Une guitare électrique, c’aurait été la guerre.
Une caractéristique de La vierge du chancelier
Rolin était aussi le fait qu’il y avait plusieurs chanteurs et chanteuses au
lieu d'une personne au centre du groupe. Comment ça a évolué ?
Laurent : On avait la chance d’avoir plusieurs gars avec des voix très différentes
et complémentaires : Jean-Phi était parfait dans les ballades douces pour
emballer les filles, hélas Thibaud juste après venait avec ses vociférations et
leur foutait la trouille, puis Nico avec son timbre bizarre les faisait tripper
et enfin Pierre finissait le boulot en leur donnant envie de se pendre… Moi,
ben ils m’ont pris parce qu’ils ne savaient pas chanter et jouer de leur
instrument en même temps.
Thomas : Il y a toujours eu plusieurs chanteurs. Le groupe était le centre du
groupe qui était lui-même au centre du groupe, tout en étant au centre du
groupe. C'était l'aspect idéaliste qui causait aussi beaucoup de larsen.
Pierre : On a splitté, tiens !
Vous avez des textes en anglais, en français et
en allemand, un concept multilingue très sympathique… Vous remettiez vraiment
tout en question, non ?
Laurent : Et vers la fin, on bossait sur une
chanson dont le texte était la même phrase répétée en une quinzaine de langues
différentes. J’ai bien cassé les pieds de tous mes amis plus ou moins
allochtones à l’époque.
Pierre : On a aussi
un texte en wallon, t’es séparatiste ou quoi ?
Sarah : On s’amusait beaucoup en tout cas.
Surtout on aimait l’absurdité et le surréalisme. Pendant les week-end de
création, celui qui prenait le micro pouvait très bien inventer le texte sur
place ou bien faire la lecture de ce qui se trouvait devant lui. Ainsi ‘The Red
Cow in the Sycomore’ c’est inspirée d’une histoire qui se trouvait dans un
manuel d’anglais. Il y a même un texte où c’était la lecture du mode d’emploi
de la table de mixage…. Le sens ou la langue des textes n’a jamais été discuté
collectivement, c’était au choix de celui qui prenait le micro et c’est parfois
plus la tonalité que le sens qui importait. J’ai jamais compris un seul des
textes par exemple, je parlais pas anglais à l’époque.
On cite souvent And Also The Trees et Legendary Pink Dots comme influences mais j’entends aussi des
influences de Virgin Prunes, Clair Obscur, Collection d’Arnell-Andrea et The Revolutionary Army of the Infant
Jesus. Votre son est-il
influencé par certains de ces groupes, ou plutôt le resultat d’une approche
instinctive ?
Pierre : C’est vrai, on n’a rien créé du tout.
Laurent : Comparaison n’est pas raison, mais ça aide quand même à savoir dans
quoi on met les pieds. Moi, ça ne me dérange pas.
Thomas : Instinctive ? Comme chez les animaux sauvages ? Les baleines par
exemple ?
Sarah : On peut
aussi citer Purcell, Vivaldi, Nick Cave, Noir Désir ou les musiques traditionnelles
des pays de l’est. Certaines influences étaient partagées et plus délibérées ou
conscientes que d’autres : And Also The Trees ou The Legendary Pink Dots étaient deux
groupes dont on parlait beaucoup. Là, il y avait une vraie inspiration assumée
par le groupe. Pour le reste, c’était plus épars et individuel et sans doute
plus instinctif.
Vous avez gagné le concours tremplin du festival
Verdur Rock en 1993. Qu’est-ce que cela signifiait pour vous?
Pierre : Qu’on était les meilleurs.
Laurent : « Bien des premiers seront les derniers, bien des derniers
seront les premiers » Amen.
Thomas: Que je pouvais être fier de ma sœur et que je devais faire comme elle,
c'est à dire chanter dans un groupe punk.
Sarah : On s’est inscrit un peu pour rire. C’était à Namur, notre ville, il
fallait le faire. Mais le règlement exigeait au moins une chanson en français.
On n’en avait pas. On en a même créé une juste pour l’occasion. L’expérience de
jouer sur cette grande scène était en soi déjà extraordinaire. Un magnifique
souvenir. Et puis, quand on a raflé tous les prix (sauf un), ça a été le choc.
On ne s’y attendait absolument pas. Mais bon on était jeunes, on ne se prenait
vraiment pas au sérieux, donc on a très bien surmonté le choc. Ça ne nous est pas
(trop) monté à la tête. Ça a été un beau tremplin, et cela nous a en tout cas
permis de vivre de très belles expériences : tant la tournée au Québec que
l’enregistrement du CD.
Votre œuvre principale est le CD ‘Eva King’, paru
en 1995. Malheureusement, la maison de disque fait faillite peu de temps après
sa sortie. Le CD n’en fut pas moins fort applaudi. Que retenez-vous du
CD ?
Pierre : 10 morceaux.
Laurent : Zat maï inglishe pronounciécheunne at
ze taïme waz ôful.
Thomas : Les belles
photos fantômes devant le champ de maïs de Hennet.
Sarah : Tetris. Jean-Phi adorait les jeux vidéo. On a passé des heures sur
ce tetris pendant que les autres enregistraient. Oui, comme on n’était pas des
bons musiciens, on a enregistré chacun à notre tour. Une fameuse expérience.
Plus sérieusement, vingt après : on avait de bonnes idées. Franchement je
trouve que les compos sont très bonnes. Mais par contre, on ne jouait vraiment
pas bien… On devrait le réenregistrer aujourd’hui.
Vous avez fait de la musique pour une
représentation de Bertold Brecht: ‘Combien coute le fer’. Comment ça c’est
passé ?
Pierre : Plutôt bien.
Laurent : Mais ça n’a pas suffi à enrayer la montée de la NVA…
Thomas : Oui oui, c'est bien passé ! C'était il y a 20ans.
Sarah : Très bien, on en est sortis vivants
Le groupe c’est séparé en 1996, un an après la
sortie de ‘Eva King’. Quelles étaient les raisons de la séparation ?
Pierre : L’Islam.
Laurent : L’addiction au sexe
Thomas : Je voudrais dire merci à ma maman de m'avoir donné comme petit
frère à ma sœur qui joue bien du violon, je l'aime beaucoup.
Sarah : L’argent, l’ambition et le goût d’autre chose. Personne ne voulait
financer notre deuxième album. Les journalistes et le public nous aimaient bien,
mais pas les maisons de disque. On était inclassables, mais pas incassables.
Pierre : 2 musiciens alcoolisés sont allés à une fête du souvenir.
Laurent : Notre plus grand fan de l’époque a hypothéqué sa maison et
prostitué sa femme pour nous corrompre et comme on hésitait encore, il a été
jusqu’au chantage au suicide.
Thomas : C'est simple, pour se reformer, ils se sont rassemblés. C'est
l'effet facebook, comme les printemps arabes, d'ailleurs c'est le printemps en
Belgique, depuis quelques jours, et on aime bien.
Sarah : Quand on s’est retrouvés et qu’on a joué c’est comme si on s’était
quittés la veille. Je crois, dans le fond, que La Vierge du Chancelier Rolin ne
s’est jamais quittée.
Y-a-t il une chance d’une réédition du CD ou d’une
nouvelle compilation ?
Pierre : Ca ne se vend plus les CD’s.
Laurent : Sauf chez Cash Converters
Thomas : Je ne comprends pas la question.
Sarah : In sha allah
Vous avez encore plus de projets ensemble ou
allez-vous en rester à cette réunion exceptionnelle ?
Pierre : Bien-sûr que non, on va pas en rester là, on a déjà fixé un
rendez-vous dans 20 ans.
Thomas : Moi j'ai
été viré de St Louis. Je crois que si déjà on arrive à rester à cette réunion
exceptionnel sain et sauf, ce sera exceptionnel.
Sarah : Faut d’abord voir s’il y a du public
qui va venir cette fois-ci.
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