Finir en beauté, c’est ce que Simi Nah espérait avec son
nouveau CD "La terre est noire". Et comment ! Le disque est un vrai
chef-d’oeuvre. Un joyau sombre, cependant, avec de nombreuses références à la
dépression, l'insomnie, la douleur, la mort et le suicide.
Bonjour Simi Nah. Je tiens à te féliciter pour ‘La terre
est noire’, ton nouveau CD. Il est superbe. J’oserais même dire que c’est ce
que tu as fait de mieux. Comment évalues-tu le disque toi-même ?
Bonjour Xavier.
Je te
remercie du compliment. J'avoue que, moi même, j’ai un peu ce sentiment. J'ai
muri, j'ai grandi, j'ai pris beaucoup de plaisir sur scène ces dernières
années, j'ai souffert aussi… Alors oui, cet album réuni l'ensemble de ces
sentiments très forts, ce qui fait de lui sans doute le plus profond.
Le disque est très sombre, avec beaucoup de références à
la mort et même au suicide. J’ai l’impression que le disque est très personnel.
Qu’est-ce qui t’as amené à écrire un album aussi “noire” ?
Comme je te le dis plus
haut, peut être ce fameux mélange de plaisir et de souffrance interne. Je
réalise que suis une personne assez compliquée, malgré les apparences ! Pas
facile à cerner, et j'ai constamment besoin de changement. La monotonie me
déprime et la routine me rend folle... j'ai passé une période très complexe
dans ma tête où je me levais parfois le matin en n'ayant que des idées “noires”
en tête... comme la mort ! L'écriture de cet album m'a permis de ne pas sombrer
et m'a aidé à surmonter mes peurs.
C’est sombre, mais tu ne perds pas la touche ‘pop’ que tu
as eue toute ta carrière. C’est un point que tu as en commun avec Milène
Farmer, avec qui tu as déjà souvent été comparée. Qu’en penses-tu ?
La fameuse comparaison avec
Mylène Farmer, en soit, ne me dérange pas du tout. Elle a fait de très belles
choses, et ce comparatif ne peut être que positif. Maintenant, il n'y a aucune
volonté de ma part de vouloir lui ressembler; j'écris des mots les uns après
les autres en utilisant ma langue natale, je joue avec les mots comme les mots
jouent avec moi, et j'aime les voix sombres et douces… Donc oui, inévitablement
il y a des points communs !
Après avoir entendu le CD, j’étais surpris d’entendre que c’était le dernier, et surtout que tu n’allais même pas faire de concerts pour le promouvoir. Pourquoi cette décision ?
C'est compliqué … Cet album
est une façon pour moi de “Tirer ma révérence”, de finir en beauté si tu
préfères. La vie est éphémère, tout est “F.M.R”, et parfois il est préférable
d'arrêter plutôt que de dégénérer. Nous avons décidé, avec Kenny, mon partner in crime, de changer de vie
radicalement, et à l'heure même où je t'écris, nous vivons dans un tout petit
village en France où seuls les oiseaux performent des symphonies pour nous !
Tu as publié trois singles avant le disque, dont le premier en juin 2017. Je présume que la route a été longue pour publier ce disque. Combien de temps y avez-vous travaillé et pourquoi cela a duré si longtemps?
Parce que mon mal-être
interne m'a aidé à écrire ces textes, mais m'a aussi freiné tant je ne savais
plus où aller, ni dans ma tète, ni dans la musique... Le temps a produit de
différentes atmosphères que l'on retrouve tout au long de l'album. Les plus
sombres ont été écrites en dernier lieu.
Avec “La terre est noire”, tu retournes vers le français
comme langue principale. J’apprécie beaucoup les jeux de mots et la façon dont
tu joues avec la langue française. Pourquoi ce retour aux sources ?
Je n'ai jamais vraiment
quitté cette façon d'être. “Be my guest”, qui n'était pas vraiment un album
perso, faisait exception à la règle. Mais mes 2 albums précédents étaient
presque tout en français. Pour “La Terre est Noire”, ce que j'avais à dire
était trop théâtral pour utiliser la langue de Shakespeare, c'est donc choisi
Molière pour m'inspirer !
Comme c’est la fin de ta carrière musicale, je me disais
qu’il serait intéressant de parcourir ta carrière. Ton premier album –
“Cherchez la femme” de 2004 – était basé sur les relations avec ta mère et ta
fille, un sujet qui te préoccupes encore aujourd’hui. On remarque aussi que ton
style musical est resté assez consistent durant ta carrière… Quel regard porte
tu sur ton début ?
Un début reste un début, et
comme tout commencement, on se cherche encore ! “Cherchez la Femme” était
effectivement un thème profond sur ma recherche de personnalité entre ma mère
et ma fille. Je suis entretemps passé à autre chose ….
La production musicale
était encore très naïve et timide, bien que l'on abordait déjà le retour du
gothic et de la new wave dans cet album, alors que le revival n'était pas
d'actualité en 2004 !
Ton second album “5” se veut une réflexion sur le monde
de la mode. Tu as essayé de devenir créatrice et tu avais même déménagée à
Paris pour cela, où tu as passé une période assez difficile. L’album se veut
plutôt critique vis-à-vis du monde de la mode, n’est-ce pas ?
Oui tout à fait ! Tu vois,
c'est encore une facette de moi qui est un peu difficile à interpréter !
D'abord je voulais devenir styliste quand j'étais jeune, puis par manque de
moyens (ma mère m'élevait seule et ne pouvais pas payer les seules écoles de
stylisme qui existaient à l'époque), je n'ai jamais fait les études de mode
dont je rêvais. J'ai alors tout quitté pour aller vivre à Paris en espérant
apprendre sur le tas, mais le rêve a vite tourné au cauchemar ! Cela t'ouvre
les yeux, et plus tard tu te dis que le talent ne s'achète pas, mais la
popularité si !! L'industrie de la mode manipule la population en imposant ses
choix, et le temps de Coco Chanel est bien loin, si loin qu'il a atteint les
frontières de la Chine en production massive !
C’est aussi à Paris que tu as eu cette fameuse rencontre
avec Gavin Friday des Virgin Prunes ? Que s’est-il passé ?
Hahaha oui !! Comment sais
tu tout cela ? J'ai vu un de leur concert en plus ou moins 1986, si je me
souviens bien, à l'Elysée Montmartre à Paris. Après le concert, par je ne sais
quel miracle, je me suis retrouvée à l'arrière de la salle et j'ai pénétré dans
les loges. Ne me demande pas comment, je n'en ai aucune idée !!
Gavin Friday
venait d'avoir une dispute ou discussion avec Guggi et il était en pleure. Je
me suis approchée de lui pour le consoler comme j'ai pu, et après avoir sécher
ses larmes il s'est remaquillé les yeux en noir. J'en ai profité pour faire de
même en empruntant son crayon khôl et il m'a dit que je pouvais le garder en
souvenir ! Figure toi que je l'ai toujours !!
Les deux premiers albums contiennent une réflexion sur le rôle de la femme dans la société. Que signifie le mouvement féministe pour toi aujourd’hui ?
Rien du tout ! Je ne suis
pas féministe, pas plus que ça. Je n'aime pas mettre des mots sur des idées
pareilles. Je suis plutôt pour le respect de tous, femme ou non, mais c'est un
trop long débat je pense.
Le rôle “des femmes” dans mes premiers album était
d'ordre sentimental, plutôt qu'un rôle en particulier dans la société.
Cela
dit, j'ai plus d'affinité avec les animaux qu'avec les femmes ou les hommes !
“Be My Guest” est un album avec des reprises de classiques
new wave classics with avec des ‘guests’ comme Dirk Ivens, Dirk Da Davo, Nikkie
Van Lierop, Luc Van Acker… L’album a été un succès indéniable, mais il y a
aussi eu des critiques qui disaient que le succès était facile avec cette
formule…
Les mauvaises critiques
restent des critiques, le négatif est aussi positif que le positif ! Tu me
suis?
Le succès de cet album, c'était à mes yeux la spontanéité du projet, rien
n'a été prémédité, c'est arrivé tout seul. C'était un album fun à produire,
mais aussi celui qui a demandé le plus de travail, tant coté production que
coté organisation. Nous avons, Kenny et moi, tout fait nous-mêmes.
Enregistrements, arrangements, mixes, pochette, promo, et pour ne rien laisser
au hasard, nous avons monté notre label Why2k Music pour sortir cet album. Donc
peu être formule “facile”, mais travail du dingue !
J’ai une thèse et je veux te demander ton avis : ‘la
crise de l’industrie musicale fait que les considérations commerciales ont
perdues beaucoup de leur importance et que la démarche artistique est redevenue
primordiale. En fin de compte, ça bénéficie à la qualité des œuvres produites
aujourd’hui’. Qu’en penses-tu ?
Je suis assez partagée sur
ce sujet; à l'époque où j'ai commencé mon projet solo, nous pouvions vivre de
la musique seule. Comme tu l'as mentionné plus haut, un album ça prend du
temps, beaucoup de temps, il faut donc pouvoir s'y consacrer corps et âme pour
obtenir de bons résultats.
A l'heure actuelle, nombreux sont les artistes que
je connais obligés d'avoir une seconde occupation pour “survivre”, et pour ma
part cela ne m'a pas réussi. Car oui j'ai aussi dû faire “autre chose” pour
intégrer cette société qui avait décidé à ma place que la musique ne faisait
pas partie des normes. Cela m'a beaucoup affectée et je ne parvenais pas à
changer de peau pour passer d'un monde dit “normal” à un monde “artistique”.
D'où les longs écarts entre et durant les albums.
Maintenant, c'est peut être
cette frustration intense qui nous a amené à écrire notre meilleur album !
Vivre sereinement, écouter
le “Chant des loups” et des cerfs, et le reste suivra…
Merci pour cette interview !
Merci à toi aussi !
Simi Nah: bandcamp/ website/ facebook